Dopée par le boom de l’IA, la construction de nouveaux datacenters, couplée à leur voracité énergétique croissante, pèse sur les réseaux électriques. Et créent des conflits d’usage. Et si l’accès à l’électricité était le vrai goulet d’étranglement pour le développement de l’IA ?

L’appétit énergétique des opérateurs de cloud commence, un peu partout dans le monde, à créer des conflits d’usage. (Photo : Tom / Pixabay)
L’appétit énergétique des opérateurs de cloud commence, un peu partout dans le monde, à créer des conflits d’usage. (Photo : Tom / Pixabay)

Cette fois, c’est non. Le conseil du district de Dublin Sud, en Irlande, a retoqué purement et simplement un projet de datacenter sur son territoire, dossier déposé par Google. Le motif de ce refus est explicite puisque l’administration met en avant « la capacité insuffisante du réseau électrique et l’absence d’énergie renouvelable significative sur le site pour alimenter le datacenter ».

Le projet était la troisième tranche du campus de datacenters de Google en Irlande. Il prévoyait la construction de huit bâtiments, pour un total de 72 400 mètres carrés, et la création d’environ 50 emplois. En Irlande, terre d’accueil des géants de la tech du fait de sa fiscalité très accommodante, les datacenters ont consommé 21% de l’électricité l’an dernier selon les statistiques officielles (contre 5% en 2015). Soit déjà davantage que l’ensemble des foyers de ce pays d’un peu plus de 5 millions d’habitants. Et les projections prévoient que la part de l’électricité dédiée aux datacenters atteigne 27% en 2028.

Explosion des demandes de raccordement en France

Le cas – assez extrême – de l’Irlande illustre les tensions sur l’accès à l’énergie que provoque la multiplication des projets de nouveaux datacenters, suite au boom de l’IA. Au second semestre 2024, selon les chiffres du cabinet Synergy Research, la dépense des entreprises dans le cloud – qui offre notamment aux entreprises un accès simplifié aux architectures à base de GPU nécessaires à l’IA – a approché les 80 Md$, soit un bond de 22% sur un an. C’est aussi le troisième trimestre consécutif que la croissance de ce marché dépasse les 20%. Ces progressions sont en partie dues à l’augmentation de la demande de services d’intelligence artificielle, boostée par l’intérêt généralisé pour l’IA générative. C’est ce phénomène qui pousse les fournisseurs à multiplier les projets de construction de datacenters, donc les demandes de raccordement au réseau électrique.

Au niveau global, selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie, datant de juillet, la consommation provenant des datacenters (cryptomonnaies exclues) devrait représenter environ 1 à 1,3 % de la demande mondiale d’électricité en 2022, et pourrait atteindre 1,5 à 3 % d’ici à 2026. Soit davantage que l’ensemble des besoins des véhicules électriques. Par comparaison, la production d’aluminium, une des activités les plus électro-intensive, représente 4% de la production mondiale actuelle.

En France, si l’ensemble des demandes de raccordement aboutissent, la consommation des datacenters pourrait représenter environ 80 TWh par an, soit huit fois plus qu’actuellement, selon un article des Echos datant du printemps dernier. Dans ses prévisions officielles, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, RTE, table sur une consommation des datacenters de l’ordre de 15 à 20 TWh en 2030, et pronostique une poussée à 28 TWh en 2035. Même si la société se montre rassurante auprès de nos confrères – et même si toutes les demandes de raccordement ne seront effectivement pas suivies d’effet -, l’écart entre ces chiffres est béant.

Réseaux électriques sous tension

Même avec une production nationale capable de s’adapter comme le garantit RTE, cette demande croissante et sa concentration sur certaines zones, comme l’Ile-de-France pour ce qui concerne l’Hexagone, créent d’importantes contraintes sur les réseaux de distribution d’électricité. « Nous avons alerté les pouvoirs publics sur le risque de conflit d’usage. Pour raccorder ces datacenters, il faut adapter les réseaux électriques et aller chercher de la capacité supplémentaire sur les lignes à haute tension. Or, cette capacité électrique supplémentaire est aussi demandée par les projets de transport urbain, d’installation de bornes de recharge pour les véhicules électriques ou encore par les projets d’urbanisation », expliquait Jean-Philippe Bonnet, directeur adjoint du pôle Stratégie, Prospective et Evaluation chez RTE dans les colonnes des Echos. 

En Grande-Bretagne, le Pdg de National Grid, gestionnaire du réseau de transport, a appelé à une modernisation de l’infrastructure au début de l’année, déclarant que la construction d’un réseau de transmission terrestre à ultra-haute tension, pouvant atteindre 800 000 volts, permettrait des transferts d’énergie dans tout le pays, répondant notamment aux besoins des nouveaux datacenters. De son côté, en mai dernier, le gouvernement américain a lancé un plan de modernisation des réseaux électriques des Etats-Unis, le Federal-State Modern Grid Deployment Initiative, afin de notamment faire face à l’explosion de la consommation des datacenters.

Les datacenters qui menaçaient de boucher le Vieux Port

Malgré les initiatives des opérateurs de cloud dans les énergies nouvelles ou dans la contractualisation d’accords de fourniture de puissance électrique, les conflits d’usage se multiplient bel et bien. En juin, Marseille, lieu d’arrivée de backbones importants de communication, a mis un stop à la stratégie d’expansion de Digital Realty dans la zone portuaire, afin de limiter la pression sur le foncier qu’exerce cette activité et trancher les conflits d’appel de puissance électrique dans la cité. Les opérateurs de datacenters sont désormais priés d’aller s’installer dans la zone de Plan de Campagne, à 15 km du Vieux Port.

Aux Etats-Unis, en Pennsylvanie, AWS, qui a racheté à l’énergéticien Talen Energy un datacenter à proximité d’une centrale nucléaire afin de bénéficier de cette source d’énergie, fait face à une fronde de deux distributeurs d’électricité qui s’inquiètent de voir le géant du cloud mettre la main sur cette production, et donc affaiblir le réseau. D’autant qu’AWS a déjà prévu d’étendre les capacités de ce campus, doublant ainsi ses besoins en énergie. Signalons également que, depuis janvier dernier, les Pays-Bas ont restreint les nouvelles implantations de centres de données dans la majeure partie du pays, en raison des contraintes qu’ils font peser sur le réseau, « à l’exception de certains emplacements situés dans les communes de Het Hogeland et Hollands Kroon, dont la délimitation géométrique est fixée par un règlement ministériel », précise l’arrêté datant de décembre dernier.

La barre du Gigawatt

Car, à la multiplication des projets de construction s’ajoute la voracité croissante des datacenters. « Des centres de données atteindront probablement la barre du gigawatt », soulignait ainsi Luc Rémont, le Pdg d’EDF, sur la scène du dernier salon VivaTech. A l’heure actuelle, les solutions alternatives de fourniture d’énergie qu’explorent les géants du cloud – piles à combustible, mini-réacteurs nucléaires (SMR) voire géothermie – sont soit trop matures, soit trop limitées pour faire face à l’appétit énergétique du secteur.

Dans une conférence aux investisseurs, en mai dernier, le Pdg de l’opérateur américain d’infrastructures numériques DigitalBridge, Marc Ganzi, expliquait : « Il y a plus de deux ans, lors d’une conférence à Berlin sur les infrastructures, j’avais dit aux investisseurs que nous serions à court d’énergie dans cinq ans. Eh bien, je me suis trompé. Nous serons en quelque sorte à court d’énergie dans les 18 à 24 mois à venir ».

La France mise sur sa production nucléaire

Energie décarbonée, plan d’investissement massif dans de nouveaux réacteurs nucléaires. La France a évidemment des atouts énergétiques de poids aux yeux des opérateurs de datacenters. Lors de la dernière édition de Choose France, en mai dernier, pas moins de 6,5 milliards d’euros d’investissement ont d’ailleurs été annoncés par Microsoft, AWS, Equinix et Telehouse pour créer de nouveaux datacenters ou étendre des sites existants.

Selon le baromètre de l’association professionnelle France Datacenter, réalisé avec EY-Parthénon et publié en juin dernier, la demande liée à l’IA générative devrait faire progresser la puissance installée des datacenters dans l’Hexagone de 13% à 14% par an, à comparer aux 11% qui étaient envisagés jusqu’alors.

Dans le même temps, l’Allemagne a récemment envoyé quelques signaux inquiétants, le gouvernement fédéral envisageant d’adapter les tarifs, au niveau local, à la production d’énergies renouvelables, par définition intermittente. Or, ces dernières structurent désormais fortement la production d’électricité outre Rhin, avec 56 % de l’électricité totale en 2023.

Par ailleurs, la république fédérale s’est empressée de transcrire la directive européenne Energy Efficiency Act de 2023, ce qui fait peser un certain nombre de contraintes spécifiques sur les opérateurs de datacenters, en matière de reporting, mais aussi d’efficacité énergétique. Au-delà de cet aspect, les centres de données implantés outre Rhin sont également tenus d’acheter 50 % de leur électricité à partir de sources renouvelables depuis janvier dernier, proportion qui doit atteindre 100 % d’ici au 1er janvier 2027.

Une erreur dans l’article?Proposez-nous une correction

Article rédigé par

Reynald Fléchaux

Rédacteur en chef CIO

Publications similaires

Laisser un commentaire